Erik Orsenna : "Mon ambition est folle : que l’Éducation nationale accepte de remettre en cause son enseignement du français. La rigueur n’implique pas le jargon. Et le respect n’empêche pas le plaisir. Il faut réapprendre la pratique de l’écriture et ne plus seulement passer son temps à disséquer, dessécher. La grammaire n’est pas une morgue. C’est le squelette qui autorise les mouvements de la vie."
La grammaire est une chanson douce.
Nous découvrons dans la ville des mots : les noms, les articles, les tribus de verbes et d'adjectifs, les horloges du présent et du passé, l'usine à phrase...et des coutumes étranges : la nommeuse redonne vie aux mots rares, les mots se marient pour pouvoir s'accorder...
C'est un conte pleine d'humour, de poésie, de tendresse, où les règles grammaticales sont égrainées avec légèreté. Un hommage à la langue française. Un délice à déguster.
Extrait :
" Les mots dormaient. Ils s’étaient posés sur les branches des arbres et ne bougeaient plus. Nous marchions doucement sur le sable pour ne pas les réveiller. Bêtement, je tendais l’oreille : j’aurais tant voulu surprendre leurs rêves. J’aimerais tellement savoir ce qui se passe dans la tête des mots. Bien sûr, je n’entendais rien. Rien que le grondement sourd du ressac, là-bas, derrière la colline. Et un vent léger. Peut-être seulement le souffle de la planète Terre avançant dans la nuit. Nous approchions d’un bâtiment qu’éclairait mal une croix rouge tremblotante.
-Voici l’hôpital, murmura Monsieur Henri. Je frissonnai. L’hôpital ? Un hôpital pour les mots ? Je n’arrivais pas à y croire. La honte m’envahit. Quelque chose me disait que, leurs souffrances nous en étions, nous les humains, responsables. Vous savez, comme ces Indiens d’Amérique morts de maladies apportées par les conquérants européens. Il n’y a pas d’accueil ni d’infirmiers dans un hôpital de mots ; Les couloirs étaient vides. Seule nous guidaient les lueurs bleues des veilleuses. Malgré nos précautions, nos semelles couinaient sur le sol. Comme en réponse, un bruit très faible se fit entendre. Par deux fois. Un gémissement très doux. Il passait sous l’une des portes, telle une lettre qu’on glisse discrètement, pour ne pas déranger. Monsieur Henri me jeta un bref regard et décida d’entrer.
Elle était là, immobile sur son lit, la petite phrase bien connue, trop connue : Je t'aime. Trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres ressortaient à peine sur la blancheur des draps. Il me sembla qu'elle nous souriait, la petite phrase. Il me sembla qu'elle nous parlait :- Je suis un peu fatiguée. Il paraît que j'ai trop travaillé. Il faut que je me repose.- Allons, allons, Je t'aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais. Depuis le temps que tu existes. Tu es solide. Quelques jours de repos et tu seras sur pieds.
Monsieur Henri était aussi bouleversé que moi. Tout le monde dit et répète "Je t'aime". Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ. Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement, les mots s'usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver."
"l'imparfait est le temps de la durée qui s'étire, l'imparfait, c'est du temps qui prend son temps..."
"Les mots sont les petits moteurs de la vie."
"envisager l'avenir. Avez-vous jamais remarqué la beauté de ce verbe : « envisager » ? J'en-visage. Je regarde le visage de l'avenir."
"Vous savez que le mot « curieux » vient du mot latin cura :le soin ? Soyons fiers de notre défaut ; être curieux, c'est prendre soin. Soin du monde et de ses habitants."
"Je venais de faire connaissance avec l'une des lois régissant l'espèce humaine, dite « loi de la double crêpe » : plus quelqu'un écrase ceux qui sont au-dessous de lui, plus il s'écrase devant ceux du dessus. "
Jeanne rencontre Marcel Proust : "Je n'y comprends rien. Mais quelque chose me dit, là, dans le coeur, que tes phrases m'intéresseront plus tard, quand je serai grande."
Les chevaliers du subjonctif
Un beau conte sur la richesse de la langue française. L'aventure se poursuit.
Extrait :
"– Qui êtes-vous ? je veux dire : qui êtes-vous, les Subjonctifs ? Des malades ? Des dangereux ? Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi le dictateur Nécrole vous déteste tant, pourquoi il veut lancer l’assaut contre vous. – Je te l’ai expliqué : le subjonctif est l’univers du possible. – Et alors ? – Réfléchis un peu, Jeanne. Qu’est-ce que le possible ? – Quelque chose qu’on pourrait faire… – Mais qu’on n’a pas fait. Pas encore fait. Pas voulu faire. Réclamer le possible, tout le possible, c’est critiquer le réel, le monde tel qu’il est, la pauvreté, les injustices. Et donc critiquer les politiques qui veulent que rien ne change : ils se satisfont très bien du monde tel qu’il est. – Le subjonctif est un mode révolutionnaire, c’est ça ? – On peut le dire. – Maintenant, je comprends mieux pourquoi on peut avoir peur de vous. C’est vrai que vous dérangez. Je voudrais adhérer. – Pardon ? – Adhérer à votre club. – Il ne s’agit pas d’un club, Jeanne. Nous formons une chevalerie."
"Le subjonctif est le mode du doute et de l'espérance. Le subjonctif est le mode de l'amour."
"Réclamer le possible, tout le possible, c'est critiquer le monde tel qu'il est."
"L’amour est une conversation... L’amour c’est lorsqu’on ne parle qu’à l’autre. Et lorsque l’autre ne parle qu’à toi."
"Le savoir est l'arme la plus efficace contre les tyrans. La preuve : ils brûlent toujours tous les livres."
"- Nous sommes entourés d'endroits sans livres : la mer, le ciel, la montagne ?-Et tu crois qu'il ne faut pas apprendre à lire la mer, quand on veut naviguer ? À lire la montagne, si on ne veut pas être enseveli par une avalanche ? À lire le ciel, quand on vole en planeur ? "
Un maître mot : jouer
sur les mots, les temps, les lieux et les hommes.
sur les mots, les temps, les lieux et les hommes.
Qui est le personnage principal : le subjonctif, sa perception et sa signification. Mode de l'irréel, de tous les possibles.
Plaisir des mots, de la langue française. Tout un univers créé pour notre seul plaisir.
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