vendredi 26 septembre 2008

Petit traité sur l’immensité du monde

La jaquette :

Pour ralentir la fuite du temps, Sylvain Tesson parcourt le monde à pied, à cheval, à vélo ou en canot. Dans les steppes d'Asie centrale, au Tibet, dans les forêts françaises ou à Paris, il marche, chevauche, mais escalade aussi les monuments à mains nues. Pour mieux embrasser la terre, il passe une nuit au sommet de Notre-Dame de Paris, bivouaque dans un arbre ou sous un pont, recourt aux cabanes. Cet amoureux des reliefs poursuit le merveilleux et l'enchantement. Dans nos sociétés de communication, Sylvain Tesson en appelle à un nouveau nomadisme, à un vagabondage joyeux.

Extrait :

« Mes voyages préférés sont ceux au cours desquels je me présente à la nature à armes égales, sans moteur, sans pouvoir aller plus vite que mon énergie ne l’autorise. Ce n’est pas par goût de la souffrance que j’use mes semelles mais parce que la lenteur révèle des choses cachées par la vitesse. On ne déshabille pas un paysage en le traversant derrière la vitre d’un train ou d’une auto : on en retiendra au mieux le souvenir d’un fusement, une vapeur d’impression diluée dans l’excès des visions. Le voyageur à pied, lui, peut quitter la route fréquentée pour des sentes mieux traitées par les hommes, c’est-à-dire moins battues. S’il voit une route sabrer une steppe, il prêtera main-forte à la steppe. Rien ne lui plaira autant qu’un horizon fuyant avec résolution ses tentatives pour le rejoindre ».
« la géographie a été inventée parce que des hommes à l’esprit curieux voulaient comprendre comment s’ordonnançaient les choses à la surface de la terre ».

"La géographie, la plus belle des disciplines. Elle se tient au carrefour des connaissances, elle convoque à elle les autres sciences. Elle précipite ce que lui révèle chacune dans son chaudron, mélange les ingrédients et concocte une lecture du monde. Elle demande à l’histoire le nom de l’armée qui a abreuvé la vallée de son sang. Elle demande à la géologie de quelle pierre se nourrissent les murs de l’abbaye construite sur un piton et à la géomorphologie d’où vient ce piton. Elle demande à la paléoclimatologie depuis quand le vin peut se cultiver sur le coteau, à la palynologie ce qu’on faisait jadis pousser dans les jachères d’aujourd’hui, à la toponymie de révéler ce dont même les anciens ne se souviennent plus, à la topographie la raison pour laquelle la ruine d’un donjon féodal se trouve là où elle est. Une fois recueillies les indications, elle livre sa vision, dévoile ce que les forces naturelles ont fait subir au substrat puis ce que l’Homme lui a infligé. Elle offre les clés qui ouvrent le paysage à la compréhension. La géographie, c’est quand la lumière se fait"

Aux bords de l’humanisme

« Jusqu’à un certain jour où le ciel s’embrunit, je voyageais pour rencontrer les Hommes. A ceux qui demandaient une raison à mes brusques départs, je décrivais l’humanisme-cet élan sentimentale qui nous porte ver nos semblables-comme présidant à tout élan vagabond. J’ajoutais que c’était pour étancher ma soif de l’autre que je me lançais dans de longues échappées. Mes interlocuteurs se montraient ravis de ces réponses : la référence à l’humanisme est le meilleur moyen d’endormir une conversation. On m’avait enseigné que l’Homme occupait le sommet d la pyramide du Vivant. Mais l’édifice s’est écroulé et je me méfie à présent de lui comme d’une eau claire que les yeux croient bonne et que le gosier découvre salée. J’ai déboulonné l’Homme de mon piédestal intérieur comme on jetait Lénine au bas des socles de marbre dans les républiques socialistes à l’automne 91.
Je suis sorti des chemins humanistes, à la faveur de rencontres qui me dessillèrent les yeux et me désoperculèrent les oreilles. Lors de mes premiers voyages, je partirais admirer le spectacle du monde et le rideau se leva sur l’universelle oppression de la moitié de l’Humanité par l’autre.
Le Wanderer que je suis redeviendra humaniste lorsque cessera la suprématie mâle. Il souffre à chaque instant de se heurter où qu’il porte ses pas (aux rares exceptions des pays scandinaves, de certaines vallées himalayennes et de jungles primaires) à la toute puissance de la testostérone. Il lui semble que l’humanité a érigé en divinité le mauvais chromosome. Il entend des cris de joie dans les maisons berbères saluant la naissance d’un garçon et de lamentations si c’est une fille. Il a traversé des villages dans les campagnes de Chine où les mères se pendent si elles enfantent une fille. Il a vu en Inde, où il manque cinquante millions de femmes, le visage des victimes qu’on a tenté de bruler. Il a lu dans le Coran-ce bégaiement paniqué de berger hagard-le mépris ruisselant de stupidité dans lequel est tenue la femme. Il sait qu’en Europe, autour de lui, sous ses yeux, la situation n’est pas plus heureuse. Dans les champs tropicaux qu’il a traversés, il n’a souvent vu que la silhouette des femmes affairées aux moissons pendant que les hommes s’adonnent à leur occupation qui tient en halène, chaque jour des milliards d’entre eux : suivre l’ombre d’un arbre au fur et à mesure que le soleil se déplace dans le ciel. Dans des pays de sable et de soleil, il a partagé la table du maitre de maison pendant que la mère de famille se nourrissait par terre de ce qu’on lui lançait. Il a rencontré des familles composées de petits garçons gras comme des poussahs entourés de fillettes aux cotes saillantes. Il a collecté dans ses carnets de notes quelques proverbes hideux :
Quand la fille nait, même les murs pleurent (Roumanie)
Une fille donne autant de soucis qu’un troupeau de mille bêtes (Tibet).
Instruire une femme, c’est mettre un couteau entre les mains d’un singe (Inde).
La femme est la porte principale de l’enfer (Inde).
La femme que Dieu comble de bonheur est celle qui meure avant son mari (monde arabe).
Merci, mon Dieu, de ne pas m’avoir fait naître femme (monde juif).
Et c’est ainsi que, malgré lui, il a perdu son humanisme. Il ne comprend pas pourquoi l’humanité se rend coupable d’un gynocide permanent (dont les victimes n’ont même pas, elles, le baume du devoir de mémoire) et ne voit pas pourquoi il faudrait aimer oui respecter cette humanité là. Il a et conforté de découvrir un jour que Jack London (un Wanderer lui aussi, celui du Nouveau Monde !) pensait que « l’homme se distingue des autres animaux surtout en ceci : il est le seul qui maltraite sa femelle, méfait dont ni les loups ni les lâches coyotes ne se rendent coupables, ni même les chiens dégénérés parla domestication ».


Emotion, enchantement, réflexion, anecdotes, mots justes.
Sylvain Tesson nous fait partager son expérience acquise au cours de ses voyages au long court. Il est souvent porté par ses deux pieds moteurs et à l’occasion par ses bras pour escalader les plus étranges sommets !
Il nous permet d’approcher la philosophie du nomade qui vie à contre-courant de notre mode de vie moderne. Pour lui, faire son chemin : c’est un art de vivre, une façon de penser.
Cet homme, parti à la rencontre de l’humanité, se tourne vers la nature pour étancher sa soif intérieure.
Il est intéressant de constater que dans son cheminement actuel, l’humanité l’a déçu. Faisant moi-même partie de cette moitié d’humanité trop souvent bafouée, je ne doute pas qu’il retrouve un jour dans l’âme humaine la lumière qui lui est propre.
Merci pour le partage de ce voyage unique autour du globe.

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