dimanche 20 mai 2007

Albert Jacquard : De l’angoisse à l’espoir, leçons d’écologie humaine

Albert Jacquard : De l’angoisse à l’espoir, leçons d’écologie humaine

I - Aujourd’hui l’angoisse

« Nous sommes entrain se vivre une révolution, et nous ne devons pas oublier que toute révolution se partage en deux camps : ceux qui la subissent et ceux qui la conduisent. Nous devons donc nous rendre compte que nous avons le devoir de participer activement aux changements en cours, pour leur donner la bonne direction. »

Qu’est l’être humain aujourd’hui ?
Les notions d’univers, de temps, d’espace, de matière ont changées, ce qui a entrainé un accroissement de notre aptitude à transformer le monde. Notre capacité de destruction s’est accrue, ainsi que notre pouvoir sur le monde vivant et nous savons transformer la nature même des êtres humains. Nous devons affronter des problèmes auxquels aucun philosophe n’avait pensé.
Nous sommes en route pour un « mutation irréversible »

Les révolutions conceptuelles.
La lucidité apportée par les concepts scientifiques mis au point au cours du XX ème siècle nous aide à passer d’une vision pessimiste du monde à une vision plus optimiste et surtout d’une attitude soumise à une attitude active.
La réalité n’est plus déterminée, mais aléatoire.
La logique n’est plus rigoureuse, mais remplacée par l’indécision.
Donc nous disposons d’un espace de liberté à gérer et nous manquons de points de repères.
Les processus de transformation qui construisent demain à partir d’aujourd’hui sont aléatoires.

La terre comme demeure définitive.
La préoccupation de l’avenir domine la conscience du présent, ce qui provoque l’angoisse permanente du lendemain.
Un, nous sommes prisonniers de la terre donc de son devenir.
Deux, nous ne sommes peut être pas seuls dans le cosmos, mais nous sommes isolés. La communication avec une autre civilisation serait une coïncidence extraordinaire.
Trois la possibilité de transhumance est réduite par la vitesse de la lumière qui reste infranchissable.

Donc la terre restera notre planète définitivement, nous devons chercher à vivre avec elle sereinement, en la respectant, en s’efforçant de ne pas la détruire.

La finitude de notre planète.
Quel est l’avenir de notre civilisation, sachant que nous en sommes à la fois les créateurs et les produits ?
A terme notre civilisation disparaitra, mais pour l’instant consacrons nous à rendre meilleur le sort de nos contemporains et de nos descendants et gérant au mieux les contraintes imposées par notre environnement.
En tenant compte de la finitude des richesses terrestres :
- La surface habitable qui interdit une croissance sans fin du nombre des humains. Et surtout du gaspillage généré par le mode de vie des Occidentaux. La seule issue réside dans le choix d’une diminution de la consommation par les peuples les plus riches.
- La gestion de notre atmosphère qui nous permet de vivre à la surface de la terre : la couche d’ozone .
- Tous les biens non renouvelables à considérer comme « Bien commun de l’humanité »

Nous devons tenir compte de la fragilité de notre planète et de notre capacité à la détruire.
Paul Valéry « Le temps du monde fini commence ».

Les biens renouvelables.
Nous dilapidons le pétrole. Nous appauvrissons l’humanité. Au nom du concept de propriété, un petit nombre de personnes se sont approprié cette richesse commune. De même pour les œuvres d’art, elles doivent rester propriété de l’humanité.
Nous risquons de rendre notre terre inhospitalière. Nous devons respecter les hommes qu’elle abrite, et surtout ceux qu’elle abritera.

Une nouvelle vision de l’homme.
Nous sommes capables d’acquérir de nouveaux pouvoirs et de faire reculer les limites. Nos nouveaux pouvoirs peuvent à présent être source d’angoisse, car à long terme ils peuvent provoquer des catastrophes.
XVIIIème siècle, les idées dominent : l’égalité de toutes les personnes humaines a amené une révolution.
XIVème siècle, la création de la société industrielle : triomphe des « grands patrons ».
XXème siècle, évolution de la technique et passage du pouvoir des mains des politiques et des industriels vers celles des financiers et des économistes.

Le pouvoir aux économistes.
La société occidentale fait confiance à un processus que l’on croit capable de résoudre tous les problèmes : l’augmentation de la consommation pour répondre à la « loi du marché ».
Ce n’est pas rationnel car les limites de nos ressources planétaires ne sont pas infinies.
Dans le système actuel on confie aux égoïsmes individuels le soin de piloter la gestion de la collectivité en fonction de la valeur définie des biens.
La santé, l’éducation, la justice, la culture sont des « biens » dont la valeur ne peut être définie. Ils n’ont pas de valeur, mais ils ont un cout. Le risque est de réduire ces secteurs au profit de secteurs plus « rentables ».
Le progrès technique à entrainé la diminution de la pénibilité du travail. Mais, aussi l’exclusion du système productif d’une tranche de la population. Cette structure sociale est en fait une source de misère et de désespoir qui amène violence, délinquance, drogue…


II – L’univers autocréateur

La durée et le temps.
Notre univers tend vers un accroissement de la complexité qui entraine la mise en place de performances nouvelles. Le temps est donc créateur, même si à notre échelle, il nous amène inéluctablement vers notre mort.

L’évolution de la terre.
Sur terre, cette course vers la complexité a créé la molécule d’ADN qui a la capacité de fabriquer un double, donc d’être indestructible. Elle a emmagasiné des pouvoirs au fur et a mesure de son évolution celui de dissocier le gaz carbonique et rejeter de l’oxygène ce qui à produit la couche d’ozone. Cette protection contre les ultras violets a permis à des êtres vivants de quitter le milieu aquatique. Puis les végétaux, les animaux terrestres se sont développés. Un changement climatique à favorisé le développement des mammifères, notamment des primates. Enfin un groupe de primate c’est séparé pour aboutir à deux espèces, les chimpanzés et Homo.

Le Big Bang.
Une théorie qui camoufle l’incapacité à répondre à l’éternelle question « Comment est né ce cosmos ? »
L’objet de la science est de décrire ce qui s’est passé depuis l’origine et de comprendre les mécanismes du mouvement qui tend vers toujours plus de complexité et de performances.

L’évolution du cosmos.
Le scientifique doit rester modeste et constater son impossibilité à répondre à des interrogations fondamentales. Deux forces sont en opposition : l’élan de l’explosion initiale et l’attraction gravitationnelle, pour savoir laquelle l’emportera il faudrait connaitre la densité de l’univers. Cette question les hommes du passé ne pouvaient se la poser, mais dans notre présent nous n’avons pas la réponse. Les théories nouvelles bouleversent notre conception du cosmos.

L’entropie .
Linné au XVIII nous propose trois ordres : minéral, végétal, animal.
Théorème de Carnot au XIX : l’entropie d’une structure c'est-à-dire son niveau de désorganisation, ne peut que croitre. Donc le cosmos ne peut tendre que vers un état total de désorganisation ! Ceci ne prévaut que pour un système strictement isolé ce qui est rarement le cas. Les êtres vivants sont caractérisés par leur échange avec leur milieu. En fait l’influence des structures voisines amène à une amélioration des performances, à une augmentation de la complexité. Donc l’échange nous fait échapper à l’entropie.
La ville permet des échanges sans que ceux-ci deviennent invasifs. La structure architecturale doit corresponde à ce besoin. L’humanité doit préserver sa capacité d’autocréation due à sa complexité.

L’évolution vers la complexité.
La complexité est fonction du nombre des éléments de la structure considérée, de leur diversité et de la qualité des interactions qui rendent ses éléments solidaires. La complexité entraine l’imprévisibilité. Assembler, c’est produire de l’inattendu.

Les forces à l’œuvre dans l’Univers.
L’attraction gravitationnelle : provoque une attirance mutuelle entre tous les objets dotés d’une masse.
La force électromagnétique : provoque une attirance ou une répulsion entre les objets dotés d’une charge électrique.
Deux forces nucléaires agissant sur les noyaux atomiques.
Leur interaction fait progresser la complexité de l’univers. L’équilibre des forces à permis de ne pas aboutir à un univers homogène.
Qui est le grand ordonnateur de cet équilibre : Dieu? ou une multitude d’univers parallèles qui ont abouti à la sélection du notre ?
La règle de base de la science répond au Comment, pas au Pourquoi.

III - l’aboutissement provisoire : Homo

L’ADN
L’ADN a résisté à la sélection grâce à sa capacité de reproduction, à sa capacité de mutation. L’ADN gère la fabrication de protéines. Les protéines interagissent et mettent en place des processus, les métabolismes qui permettent à cet ensemble de molécules de respirer, digérer, réagir : en un mot vivre. Ces êtres vivants ont modifiés leur milieu. Les algues bleues ont dissociés les molécules de gaz carbonique pour garder le carbone et rejeter l’oxygène. L’oxygène s’est élevé dans l’atmosphère et à créer la couche protectrice d’ozone qui arrête les rayons ultraviolets venus du soleil. Les êtres aquatiques ont pu explorer les terres émergées. L’évolution n’a pas été le résultat de la seule nature, elle a été influencée par les êtres que celle-ci avait créés.

De la reproduction à la procréation.
La reproduction produit des copies.
La procréation produit des nouveautés. Un individu transmet la moitié de ce qu’il avait reçu grâce à une gamète, l’autre moitié venant de l’individu partenaire. La collection de gamète est si fabuleusement riche que toute prévision est illusoire.

L’évolution.
Lamarck : transmission des caractères acquis.
Darwin : la compétition est la loi de la nature, c’est grâce à elle que les espèces s’adaptent et progressent.
Fixiste : monde stable, définitivement identique à l’état voulu par Dieu lors de la création.
Aujourd’hui : transformation et différenciation des espèces à partir d’une origine commune.

L’inné et l’acquis.
Mendel : chaque géniteur nous transmet la moitié de ses caractéristiques.
L’inné est l’ensemble de ce que chacun reçoit lors de sa conception. Reçu au départ.
L’acquis est tout le reste. Apporté par notre aventure.
Cela implique que les « ratés » peuvent apporter des différences bénéfiques pour tous. Ils ne savent pas faire ce que les autres savent faire, mais ils savent parfois faire ce que les autres ne savent pas faire.

La victoire des handicapés.
L’évolution est aussi le résultat de la victoire non pas des « meilleurs », mais des « ratés ».
De mutation en mutation nous sommes arrivés à avoir un cerveau qui peut être considéré comme l’objet le plus complexe réalisé par le cosmos. Le cerveau humain est celui dont les pouvoirs sont les plus fabuleux.

L’intelligence.
Multiples activités qui implique notre cerveau, mais qui dépendent aussi de l’ensemble de l’organisme : l’émotion, l’imagination, la création, l’interrogation sur soi même, le doute.

L’ordre et le désordre.
L’intelligence résulte du besoin permanent de hiérarchie, d’ordre. L’ordre absolu est équivalent à la mort. Paul Valery : « Deux danger nous menacent : le désordre et l’ordre ».
La vie est un juste équilibre entre l’ordre et le désordre.

Les espèces et les races.
Une race est définie en fonction de sa dotation génétique et non pas en fonction de caractéristiques apparentes. C’est une mesure de distance génétique faible qui qualifie une race. Concernant l’être humain les dotations génétiques des différentes populations ne permettent pas de faire des regroupements. Le concept de race est donc non opérationnel pour l’espèce humaine. Donc le racisme ne peut s’expliquer par une réalité biologique.
C’est l’expression d’une peur de « l’autre », considéré comme dangereux en raison de sa « différence » qui se déguise en mépris. La construction de chaque personne nécessite la rencontre des autres. L’autre doit être une source d’enrichissement et non pas un adversaire à piétiner dans une société de compétition.

IV- De l’individu à la personne

La nécessaire conscience.
Jusqu’au XX ème siècle : tout nouveau pouvoir est source de progrès.
XVII, Francis Bacon : le but de la science était de réaliser tout ce qui était rendu possible par notre compréhension.
Einstein affirmait le soir d’Hiroshima : « Il y a des choses qu’il vaudrait mieux ne pas faire »
Comment résoudre les problèmes éthiques posés par la manipulation génétique ?

Le rôle du projet.
Dans l’univers tout est présent ou passé. L’homme seul ayant découvert l’avenir.
Au lieu de subir les forces en action, il oriente, choisit, décide ce qui est bien ou mal et se construit une éthique. La morale est la nécessité par la possibilité du projet.
La véritable mondialisation doit être celle de la culture à condition de réserver la diversité et le respect des différences. Nous sommes passés d’une ère de survie de l’espèce humaine à un excès de naissance qui est une menace. Il faut mettre en place une démocratie planétaire de l’éthique.

Le point d’arrivée, la personne humaine.
Nous devons être conscients de nos pouvoirs et nous interroger sur le droit de les exercer en assumant notre rôle de cocréateurs du cosmos, mais aussi comprendre comment notre hyper complexité cérébrale nous permet d’échapper collectivement au sort commun des objets produits par l’univers.
Il faut mettre en relation les individus et non pas les additionner. La richesse de notre cerveau nous à permis de manifester une merveilleuse intelligence, mais c’est la complexité du réseau que nous établissons avec les autres qui nous a fait accéder à la conscience d’être. Le plus de chacun, ce sont les autres. Les liens que nous tissons constituent la meilleure définition de nous mêmes. Nous avons fait l’humanité, elle nous a transformés. La nature à produit des individus, nous avons créé des personnes. Il nous faut maintenant poursuivre cette construction de l’humanité et adopter un projet digne de ce que nous pouvons réaliser.

V- Demain : l’espoir

Un projet pour demain.
Mettre en place une organisation qui ne soit plus fondée sur la compétition, mais sur la solidarité ou aucun être humain ne peut être considéré de « trop ».
En prenant comme moteur la compétition, nous considérons tout autre comme un adversaire, tout au moins comme un obstacle. Il nous faut au contraire voir en toute autre une source. Serons-nous capable d’amorcer le changement d’accepter de réduire notre consommation de biens non renouvelables ?

Puissance de l’Homme.
Demain ne peut pas être semblable à hier. Comment affronter les choix décisifs ?
Aujourd’hui notre société occidentale est contre les autres. Le principe : consommons toujours plus et tout ira mieux ! Elle nous conduit à épuiser les biens non renouvelables de notre planète. Elle néglige la fonction première de toute communauté humaine : créer un réseau permettant à tous d’échanger et à chacun de devenir une personne. La nature a produit Homo, mais c’est l’humanité qui créé l’Homme.

Un nouveau système éducatif.
C’est par la mise en commun des systèmes éducatifs que des progrès rapides peuvent être espérés dans la mise en place d’une structure humine planétaire.

Le rôle de l’architecte.
Le « toit » de la maison d l’humanité ce sont les générations à venir.
Les fondations ce sont les décisions prises aujourd’hui.
La bonne question pour l’architecte : ce que j’ai réalisé aujourd’hui aidera-t-il les hommes de demain à vivre plus sereinement ?

La substantifique moelle que je voudrais retenir de ce livre :

« Seul l'être humain comme être vivant se sert du présent pour planifier l'avenir, un avenir incertain et aléatoire d'où l'angoisse. »

« C’est la capacité d'engagement de chacun qui servira à bâtir l'avenir, d'où l'espoir. »

"Tirant la leçon du passé, il apparaît nécessaire de mettre en place une organisation des rapports entre les hommes qui ne soit pas fondée sur la compétition, mais sur la solidarité, où, par conséquent, aucun être humain ne puisse être considéré comme étant de "trop.""

" Il est avant tout fondamental d'approfondir notre condition d'homme et de femme, d'aller au fond de nous-mêmes en nous posant la question de savoir ce qu'est l'être humain. Aujourd'hui, il est peut-être possible de donner une réponse nouvelle à cette question que les hommes se posent depuis toujours. "

Notre cerveau « représente l’objet le plus complexe (produit sur Terre) et jouit de ce fait de performances inouïes, notamment la capacité de comprendre et de transformer le monde. Mais surtout, cette complexité nous a permis de mettre en place un réseau de communications entre les hommes qui fait de leur ensemble, l’humanité, la seule structure qui soit plus complexe que chaque individu, et qui peut, par conséquent, avoir des performances supérieures. Parmi ces performances, la plus décisive est de permettre à chacun non seulement d’être, mais de savoir être, d’être conscient, de parvenir à dire « je »… Pour qu’un individu devienne un homme, pour qu’en lui émerge une personne, il faut qu’il soit immergé dans une communauté humaine. C’est grâce aux regards des autres que chacun de nous devient lui-même et est en droit d’exiger le respect. Nous devons donc mettre en place une société où chacun regardera tout autre non comme un obstacle, mais comme une source. »

« Dans notre univers, seuls interviennent le présent et le passé ; l’avenir n’existe pas… Seuls les hommes font exception ; ils ont découvert que demain sera et prennent des décisions aujourd’hui en fonction de ce qu’ils désirent pour demain… Au lieu de seulement subir les forces en action, ils ont pour rôle de les orienter, de choisir, de décider de ce qui est bien et ce qui est mal, de construire une éthique. La morale est nécessitée par la possibilité du projet… »

« Plus urgent que le bilan du siècle passé est le projet pour le prochain… Selon René Dumont « ce monde est mal parti ». Il n’est peut-être pas trop tard pour changer son orientation. En prenant comme moteur la compétition, nous considérons tout autre comme un adversaire, tout au moins comme un obstacle. Si nous voulons échapper à la barbarie, il nous faut au contraire voir en tout autre une source. Ce changement nécessite une véritable révolution… »

« C’est par la mise en commun du système éducatif que des progrès rapides peuvent être espérés dans la mise en place d’une structure humaine planétaire. C’est en effet là que les individus deviennent des personnes. En bonne logique, la mondialisation devrait être concrétisée, pour commencer, par la fonction qui doit être considérée comme première par toutes les collectivités, l’éducation. »

Un livre profondément humain qui remet l’homme à sa place parmi ces 6 milliard de congénères.
Un livre passionnant à lire absolument, à méditer. Une pensée encore une fois qui va plus loin que les apparences, qui nous emmène avec simplicité dans le monde de la réflexion sur la société dont nous faisons partie. Il est encore temps pour nous de faire des choix qui engageront la qualité des conditions de vie des futures générations.
Aurons-nous la sagesse d’entendre son message et de choisir de l’appliquer ?

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